L’intégration de la dimension de genre dans les accords de libre-échange devient une pratique de plus en plus courante. Il s’agit d’inclure des dispositions pour répondre aux besoins spécifiques des femmes et de mettre en œuvre des accords avec des politiques sensibles au genre.

En fait, en 2018, 74 accords commerciaux régionaux en vigueur et notifiés à l’Organisation mondiale du commerce comprenaient au moins une disposition relative au genre. Précisément, cinq communautés économiques régionales (CER) africaines – à savoir le COMESA, la CAE, la CEEAC, la CEDEAO et la SADC – incluent environ 20 dispositions différentes liées au genre directement dans leur traité constitutif. En revanche, l’accord établissant la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), signé en 2018, ne contient que deux dispositions relatives au genre : une dans son préambule et une dans sa liste d’objectifs généraux.

Cependant, il ne faut pas se laisser abuser par les chiffres. Si le ZLECAf n’aborde pas les questions de genre de manière exhaustive, il prévoit néanmoins la promotion et – surtout – la réalisation de « l’égalité des sexes » en tant qu’objectif explicite du traité. Grâce à la ZLECAf, les États parties ont donc franchi une nouvelle étape dans leurs engagements en faveur de l’émancipation des femmes : pour la première fois dans un accord commercial africain, la réalisation de l’égalité des sexes est explicitement mentionnée comme un objectif du commerce international.

En outre – et, là encore, contrairement à d’autres accords commerciaux africains – le préambule de la ZLECAf reconnaît l’importance de l’égalité des sexes pour le développement du commerce international et de la coopération économique. Bien que le préambule ne soit pas juridiquement contraignant en vertu du droit international, il donne certainement le ton des accords. En effet, le ZLECAf doit être interprété à la lumière du préambule, ce qui implique que chaque disposition doit être lue et mise en œuvre afin de concilier égalité des sexes et commerce international.

Deux dispositions relatives au genre sont également incluses dans les protocoles de la ZLECAf. Premièrement, l’article 27 du protocole sur le commerce et les services traite de la nécessité d’améliorer la capacité d’exportation des femmes. Cette disposition cible les femmes entrepreneurs et vise à garantir qu’elles ne soient pas laissées pour compte dans le processus de libéralisation du commerce. Deuxièmement, l’article 4 du protocole sur la libre circulation des personnes prévoit que « les États parties ne font pas de discrimination à l’égard des ressortissants d’un autre État membre qui entrent, résident ou s’établissent sur leur territoire, en raison de leur […] sexe ». Cet engagement juridiquement contraignant se distingue car aucun autre accord commercial ou accord parallèle n’interdit la discrimination fondée sur le sexe pour la libre circulation des personnes en des termes aussi explicites. En outre, en cas de violation de cette disposition – c’est-à-dire si les femmes devaient être empêchées de franchir les frontières en raison de leur sexe – le protocole prévoit un mécanisme de règlement des différends renvoyant soit à l’arbitrage, soit à un procès devant la Cour africaine de justice, des droits de l’homme et des droits des peuples.

Malgré ce qui est souligné ci-dessus, les dispositions relatives au genre du cadre juridique du ZLECAf manquent de précision. En effet, aucun outil ou mesure concret n’est identifié, et aucun secteur spécifique n’est ciblé pour atteindre l’égalité des sexes ou renforcer l’autonomisation des femmes. Par conséquent, le niveau des engagements est relativement faible, puisque le mode de mise en œuvre de ces dispositions est laissé à l’entière discrétion des États.

Si l’on compare les dispositions relatives au genre incluses dans les cinq CER mentionnées ci-dessus, la conclusion est sans équivoque : la ZLECAf n’est que l’ombre de ce que la plupart des États parties se sont déjà engagés à réaliser. En fait, sur les 36 États parties qui ont ratifié la ZLECAf, 34 ont pris des engagements plus forts en matière d’égalité des sexes et d’autonomisation des femmes dans d’autres accords commerciaux multipartites. Qui plus est, la plupart de ces accords prévoient des engagements juridiquement contraignants, identifient des mesures spécifiques à prendre, et certains sont même soumis à un mécanisme contraignant de règlement des différends en cas de non-respect.

On aurait donc pu s’attendre à ce qu’un accord de libre-échange à l’échelle du continent harmonise les engagements en matière d’égalité des sexes et d’émancipation économique des femmes dans toute l’Afrique. Mais en réalité, même si le texte de la ZLECAf vise explicitement à promouvoir l’égalité des sexes, les États parties ne sont pas tenus de prendre des mesures spécifiques pour s’assurer que les femmes bénéficient également de la libéralisation du commerce. Ces questions pourraient être abordées dans le futur protocole de la ZLECAf sur les femmes dans le commerce, qui devrait prévoir un mécanisme de suivi pour assurer sa pleine mise en œuvre.

En conclusion – et pour répondre à notre question initiale – étant donné ce à quoi les États parties se sont déjà engagés en ce qui concerne le genre et les femmes, nous aurions pu nous attendre à ce que des engagements plus ambitieux découlent de la ZLECAf en matière de sensibilité au genre. Mais, en fin de compte, puisque la grande majorité des États parties sont tenus de prendre des mesures pour promouvoir et réaliser l’égalité des sexes par le biais des CER, les engagements importants ont déjà été pris, et ils sont à nouveau énoncés, dans l’esprit du moins, dans le ZLECAf.

*Cet article a été republié par TRALAC. Voir l’original ici.

 

LIRE:

5 demandes syndicales clés pour l’intégration du genre dans l’accord ZLECAf

 

 

 

Lolita Laperle-Forget

Lolita Laperle-Forget est titulaire d'une maîtrise en droit international et politique (LL. M.) et d'un baccalauréat en droit (LL. B.) de l'Université de Sherbrooke, au Canada. Elle poursuit ses études pour un doctorat sur les opportunités générées par les accords de commerce et d'investissement pour les femmes entrepreneurs. Mme Laperle-Forget a travaillé à l'Organisation mondiale du commerce et a concentré ses recherches sur le droit commercial international et l'analyse des politiques commerciales dans une perspective de genre. Elle s'intéresse notamment au développement durable, à l'autonomisation économique des femmes, à la facilitation des échanges et aux droits de propriété intellectuelle.

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