La question de l’inclusion et de l’application de normes du travail dans les accords commerciaux est controversée et fait l’objet d’un débat animé dans les milieux de la politique commerciale et de la défense des droits des travailleurs.

Les partisans affirment que les normes du travail dans les accords commerciaux sont nécessaires pour garantir que les pays et les entreprises n’obtiennent pas un avantage concurrentiel injuste en refusant aux travailleurs leurs droits fondamentaux. D’autre part, les opposants – principalement les pays en développement – s’opposent aux dispositions relatives au travail dans les accords commerciaux, arguant que ces règles sont protectionnistes et réduiraient leur compétitivité sur les marchés mondiaux.

La ZLECAf ne contient aucune disposition relative au travail ni aucune référence à la création d’emplois décents. Pourtant, le lien entre le commerce et le travail bénéficie d’un soutien croissant. Les tendances mondiales montrent que les accords de libre-échange (ALE) incluent de plus en plus de dispositions relatives au travail.

Compte tenu de l’importance du commerce et de l’accès au marché pour les stratégies de croissance économique des pays africains, le lien entre commerce, travail et dimension de genre est une question cruciale pour toutes les parties prenantes.

Que sont les dispositions relatives au travail ?

DÉFINITION

Dispositions relatives au travail : Toute norme qui traite des relations de travail ou des conditions de travail minimales, des mécanismes de contrôle ou de promotion de la conformité, et/ou d’un cadre de coopération.

~Organisation internationale du travail

 

Le travail est un élément central du commerce et doit être inclus dans tout accord pertinent. Les dispositions relatives au travail dans les ALE peuvent soutenir l’Agenda pour le travail décent de l’Organisation internationale du travail (OIT). L’Agenda pour le travail décent de l’OIT repose sur quatre piliers : la création d’emplois, la protection sociale, les droits au travail et le dialogue social. L’incorporation de ces piliers dans les ALE peut contribuer de manière significative à la justice sociale pour tous les travailleurs.

77 accords commerciaux dans le monde comprennent des dispositions relatives au travail, contre trois en 1995.

Accords commerciaux avec et sans dispositions relatives au travail – 1995 à 2016

Accords commerciaux avec et sans dispositions relatives au travail - 1995 à 2016

 

Seuls deux grands accords commerciaux régionaux en Afrique – le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA) et la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) – comportent des dispositions relatives au travail.

Aperçu des domaines politiques couverts par la ZLECAf et les accords commerciaux régionaux

 Aperçu des domaines politiques couverts par la ZLECAf et les accords commerciaux régionaux

Source : Groupe de la Banque mondiale

Il n’est pas trop tard pour faire inclure des dispositions relatives au travail dans la ZLECAf et les syndicats ont la possibilité d’y contribuer. Comme l’a noté Babatunde Fagbayibo, professeur de droit à l’Université d’Afrique du Sud, « il est encore possible de faire en sorte qu’après son entrée en vigueur, les États membres soient mandatés pour mettre en œuvre la ZLECAf dans un contexte plus démocratique. »

Voici quelques arguments clés pour et contre les dispositions relatives au travail, ainsi que les étapes que les syndicats peuvent envisager pour préparer leurs contre-arguments contre l’inclusion.

ARGUMENTS POUR NE PAS INCLURE DE DISPOSITIONS RELATIVES AU TRAVAIL DANS LES ALE

  1. Le commerce entraînera une amélioration des normes du travail: Le principal argument des opposants est que le commerce entraîne une amélioration des normes de travail. Mais les syndicats savent que ce n’est pas toujours le cas. L’impact du commerce sur les normes du travail peut varier d’un pays à l’autre. Étant donné que les pays ressentent différemment l’impact des normes du travail, nous devons nous demander comment les améliorations seront mesurées dans le cadre de la ZLECAf. Mais une chose est claire. En l’absence de dispositions relatives au travail dans l’accord commercial, il sera difficile de tenir les pays responsables de leurs mauvaises pratiques en la matière.
  2. Les pays en développement considèrent les dispositions relatives au travail comme une menace pour leur principal atout pour attirer les investisseurs internationaux – les bas salaires: Dans le contexte de la ZLECAf, il y a d’importantes leçons à tirer de l’opposition historique aux dispositions relatives au travail dans les accords commerciaux. Les pays en développement les considéraient comme une forme de protectionnisme de la part des nations développées. En acceptant des dispositions relatives au travail, les pays en développement pensaient perdre leur avantage concurrentiel en matière de main-d’œuvre bon marché. Mais les faits ne démontrent pas que cette prémisse est correcte. Au contraire, les recherches montrent que l’amélioration des conditions de travail peut conduire à la croissance économique.

ARGUMENTS POUR INCLURE DES DISPOSITIONS RELATIVES AU TRAVAIL DANS LES ALE

  1. Le commerce conduira à une course vers le bas où les travailleurs seront les plus grands perdants: Les pays sont exposés à la concurrence dans le cadre de la libéralisation du commerce. Dans le contexte de la ZLECAf, cette concurrence s’exercera entre des pays en développement similaires, mais aussi entre des pays beaucoup plus développés que les autres. Pour devenir plus attractifs pour les investisseurs, les gouvernements sont contraints de réduire leurs réglementations et, par conséquent, le coût de la main-d’œuvre. Une « course vers le bas » est créée, dans laquelle les pays se sous-estiment les uns les autres pour être les plus privilégiés. Les dispositions relatives au travail sont donc nécessaires pour parvenir à un travail décent.
  2. L’inclusion de dispositions relatives au travail augmentera l’accès des femmes au marché du travail: La ZLECAf s’engage à réaliser l’égalité et l’équité entre les sexes. Cependant, il est difficile de comprendre comment l’accord peut atteindre ces objectifs sans l’inclusion de dispositions relatives au travail. L’OIT note que la capacité des femmes à accéder à l’emploi est plus grande dans les accords qui traitent explicitement du travail que dans ceux qui ne le font pas. Par exemple, l’écart salarial entre les hommes et les femmes s’est remarquablement réduit (80 %) dans le cadre de l’accord bilatéral sur le textile entre le Cambodge et les États-Unis parce qu’il comportait des dispositions relatives au travail. Des dispositions appropriées en matière de travail garantiraient aux femmes africaines un travail décent. Et étant donné que de nombreuses femmes gagnent leur vie de façon précaire dans le secteur informel, la ZLECAf doit inclure des dispositions relatives au travail. L’accord doit également s’engager à intégrer le travail dans tous ses aspects.

La réponse syndicale à l’absence de dispositions relatives au travail dans la ZLECAf

Comment plaider en faveur de l’inclusion de normes de travail dans la ZLECAf pour le bénéfice de tous les travailleurs ?

1. Construire votre argumentaire

Apprenez à connaître les arguments pour et contre l’inclusion de dispositions relatives au travail. N’oubliez pas que sans les dispositions relatives au travail dans la ZLECAf, les parties prenantes ne peuvent pas être tenues responsables.

2. Décidez quelles normes et quels engagements doivent être inclus

Les normes et les engagements rendent un accord contraignant ou responsable en fonction d’un certain nombre de principes. Selon Anne Posthum, spécialiste des politiques de l’emploi et du marché du travail à l’OIT, la tendance générale des accords peut être résumée comme suit:

  1. Référence aux normes de l’OIT
  2. Engagement à respecter les normes minimales du travail
  3. Application de la législation nationale – Mécanisme consultatif
  4. Clause de non-affaiblissement du droit du travail pour attirer les investissements et le commerce.

En général, trois catégories d’engagements existent dans les ALE. Il s’agit des normes internationales du travail, des normes convenues d’un commun accord et du droit du travail national. Les normes internationales du travail constituent la première catégorie d’engagements et la plus populaire, puisque près de 65% des accords commerciaux font référence aux normes fondamentales du travail de la déclaration de l’OIT de 1998. Les normes fondamentales du travail (NFT) sont les suivantes :

  • la liberté d’association et la reconnaissance effective du droit de négociation collective
  • l’élimination de toutes les formes de travail forcé ou obligatoire
  • L’abolition effective du travail des enfants
  • l’élimination de la discrimination en matière d’emploi et de profession.
Référence aux instruments de l’OIT dans les accords commerciaux | 2016

Référence aux instruments de l'OIT dans les accords commerciaux | 2016

Source: OIT

L’intégration des conventions de l’OIT dans les accords commerciaux présente deux avantages principaux. Premièrement, elles sont contrôlées par l’OIT. Deuxièmement, les différents accords sont cohérents.

3. Exiger une section dédiée au travail dans la ZLECAf

Le travail devrait être intégré dans la ZLECAf. Les négociations de l’AfCFTA sont toujours en cours et les syndicats doivent exiger que le travail soit inclus et reconnu dans toutes les sections, en plus d’une section consacrée au travail. Les dispositions relatives au travail sont normalement incluses dans les ALE de deux manières :

  • Un mémorandum joint à l’ALE, avec ou sans référence à celui-ci dans l’accord proprement dit
  • Dans le texte principal de l’ALE, normalement sous la forme d’un chapitre sur le travail ou dans les chapitres sur la durabilité, la coopération ou l’investissement.

A quoi devraient ressembler les dispositions relatives au travail dans la ZLECAf ?

Modèle de chapitre sur le travail de LRS/ITUC-Africa et les sous-sections correspondantes

Modèle de chapitre sur le travail de LRS/ITUC-Africa et les sous-sections correspondantes

Source: Les Syndicats Et le Commerce Enafrique | Zone de Libre-échange Continentale Africaine (ZLECAf) du LRS/ITUC, basé sur Gött & Abel (2017)

4. Exiger clairement l’inclusion de la dimension de genre dans les dispositions relatives au travail.

La ZLECAf s’engage en faveur de l’égalité et de l’équité entre les sexes. Mais sans l’inclusion de dispositions relatives au travail, les objectifs d’égalité entre les sexes définis dans l’accord ne peuvent être atteints. Compte tenu de l’accent mis sur l’égalité des sexes dans la ZLECAf, l’OIT estime que les références au genre peuvent être exclusivement mentionnées dans les dispositions relatives au travail. L’intégration de la dimension de genre devrait se faire en même temps que l’intégration de la dimension de travail dans la ZLECAf.

5. La ZLECAf doit reconnaître et respecter les lois du travail et les cadres législatifs nationaux

Les syndicats doivent être impliqués dans toutes les négociations futures de la ZLECAf. Ce n’est qu’en impliquant toutes les parties prenantes dans les négociations et en faisant preuve de transparence dans son approche qu’une ZLECAf transformatrice pourra être réalisée. Il doit être prouvé que son approche est centrée sur les personnes plutôt que sur les entreprises. Ceci est important non seulement au niveau continental, mais aussi au niveau national:

  • Exigez un siège à toutes les négociations de la ZLECAf.
  • Exigez que votre gouvernement local ne mène pas de négociations liées à la ZLECAf, telles que les réductions tarifaires, sans votre contribution.
  • Adoptez une position de négociation basée sur l’évaluation par le syndicat de l’impact sur les membres.

6. Soyez attentifs à la formulation utilisée

En ce qui concerne les normes et les engagements dans les dispositions relatives au travail, la formulation correcte est de la plus haute importance. Il y a une nette différence entre une clause telle que :

« s’efforcera de faire en sorte que sa législation prévoie des normes de travail conformes aux droits du travail internationalement reconnus ».

Vs

 » ne manquera pas d’appliquer effectivement sa législation du travail  » (Engen, 2017 : 22).

Cette dernière clause est appropriée car elle permet de tenir les parties responsables devant un tribunal.

7. Encourager les mécanismes de conformité promotionnels

Les mécanismes d’application peuvent être basés sur des incitations (approche douce), des sanctions (approche dure), une approche promotionnelle ou une approche de pré-ratification.

L’approche fondée sur l’incitation implique la résolution de la non-conformité par la consultation, le dialogue social, les examens et l’assistance technique. Des comités ou des groupes d’experts, par exemple, sont nommés pour servir de médiateurs et résoudre les différends. L’Union européenne utilise l’approche fondée sur les incitations dans tous ses accords, sauf un.

L’approche fondée sur les sanctions consiste à imposer des pénalités économiques, soit par des amendes, soit par des sanctions commerciales. Cette approche est souvent utilisée conjointement avec l’approche fondée sur les incitations. Une sanction économique n’est imposée que si les parties en conflit sont dans l’impasse. Il existe peu de preuves que le mécanisme fondé sur les sanctions fonctionne réellement. On le compare à l’approche fondée sur l’incitation, dont l’efficacité est prouvée principalement parce que les coupables ne reçoivent aucune forme de sanction.

L’approche promotionnelle vise à renforcer les institutions nationales du travail, par le partage des connaissances, le dialogue, le renforcement des capacités et l’assistance technique. Diverses études montrent que la capacité d’un pays à adopter et à appliquer des normes du travail peut être bénéfique pour les droits des travailleurs.

Dans l’approche de prératification, l’amélioration des normes du travail est une condition préalable à la ratification de l’accord. La plupart des experts pensent que l’approche de pré-ratification est la plus efficace. Étant donné le grand nombre de pays qui ont déjà ratifié l’accord de la ZLECAf, l’approche de pré-ratification est une occasion manquée, mais elle mérite d’être prise en compte pour les futures négociations d’accords.

8. Les syndicats et la société civile comme agents de suivi

Il est difficile de contrôler l’impact des dispositions relatives au travail dans les accords commerciaux. Les syndicats devraient donc assumer la responsabilité du suivi et veiller à ce que les normes du travail soient appliquées. En outre, le fait d’avoir des dispositions relatives au travail dans la ZLECAf ne se traduira pas nécessairement par la création d’emplois décents dans les pays.

« En résumé, il est clair que l’efficacité des dispositions relatives au travail, qu’elles soient conditionnelles ou promotionnelles, dépend essentiellement de la volonté politique des pays partenaires. Par conséquent, le rôle de l’action de plaidoyer d’accompagnement menée par les acteurs de la société civile, en particulier les organisations de travailleurs, a été déterminant pour activer les différentes dimensions des dispositions relatives au travail. La société civile ne cesse de rappeler aux gouvernements qu’il leur incombe de veiller à ce que les dispositions relatives au travail ne restent pas lettre morte et se traduisent par des actions concrètes ».

~ Liesbet Vangeel, FOS

Les dispositions relatives au travail doivent plutôt être considérées comme un outil permettant aux syndicats de demander des comptes et de suivre les progrès accomplis.

 

QUELLES SONT LES DISPOSITIONS RELATIVES AU TRAVAIL ?

Source: Guide des syndicats sur la ZLECAf

 

 

Marie Daniel

Marie Daniel est associée au Labour Research Service. Marie a une formation en études urbaines et en économie du développement et l'une de ses passions de recherche est l'organisation et les approches de participation dans le secteur informel. Elle est intriguée par la manière dont la démocratie participative est abordée et mise en œuvre en Afrique du Sud.

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