Les négociations en cours du Protocole sur l’investissement de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) offrent une occasion unique de mettre l’investissement intra-africain au service des femmes. Le protocole négocié dans le cadre de la phase II établira un cadre juridique continental réglementant l’investissement intra-africain qui correspond aux besoins africains et vise à stimuler la croissance économique de l’Afrique.
Mais comment faire en sorte que les femmes africaines soient en mesure de profiter des opportunités créées par l’augmentation des investissements directs étrangers (IDE) ? Cela commence par la conception d’un protocole d’investissement sensible au genre et la mise en œuvre de politiques qui favoriseraient l’égalité des sexes.
Il n’existe pas de recette unique pour élaborer un accord qui réduira les inégalités entre les sexes et soutiendra l’autonomisation économique des femmes, mais il y a quelques étapes nécessaires et quelques ingrédients de base. Ceux-ci peuvent être divisés en trois domaines :
- la formulation de l’accord avec des dispositions visant à promouvoir l’égalité des sexes.
- la formulation de politiques de mise en œuvre tenant compte de la dimension de genre.
- le suivi et l’évaluation de sa mise en œuvre et de son impact sur l’égalité des sexes.
Étape 1: Formulation d’un accord tenant compte de la dimension de genre
Lors de la négociation et de la formulation du texte du Protocole sur l’investissement, il est important d’être conscient que les hommes et les femmes ont des intérêts différents car ils s’engagent dans différents secteurs d’activités, occupent différents types d’emplois, gèrent différents types d’entreprises et ont des rôles différents dans leurs communautés. Ces différences – étayées par des preuves et des données ventilées par sexe – encouragent la rédaction de dispositions spécifiques soutenant l’égalité des sexes ou de dispositions non sexistes susceptibles d’avoir un effet d’entraînement positif sur les femmes.
Les dispositions spécifiques en matière de genre sont monnaie courante dans les accords commerciaux africains, avec plus de 20 accords comprenant quelque 55 dispositions liées au genre[1]. Qui plus est, l’égalité des sexes est l’un des objectifs fondamentaux de l’ ZLECAF. Par conséquent, le Protocole sur l’investissement pourrait inclure l’égalité des sexes parmi ses objectifs afin de reconnaître que l’investissement intra-africain ne doit pas être réalisé au détriment de l’autonomisation des femmes et que l’investissement intra-africain constitue un moyen d’atteindre l’égalité des sexes en Afrique. Le Protocole pourrait également aborder des questions spécifiques liées au genre, telles que l’égalité des salaires et la non-discrimination dans les dispositions relatives au travail, ou prévoir l’adoption d’une politique d’égalité des sexes dans le cadre des obligations de responsabilité sociale des entreprises. Le Protocole pourrait également inclure l’égalité des sexes dans le traitement juste et équitable. Tous ces exemples sont des dispositions figurant dans des accords d’investissement existants, conclus pour la plupart par des États parties africains[2].
Des dispositions neutres en termes de genre ciblant le développement durable et équilibrant la protection des investissements et les droits et obligations des investisseurs sont également pertinentes pour faire fonctionner le Protocole pour les femmes – à condition que les politiques de mise en œuvre soutiennent l’égalité des sexes et l’autonomisation économique des femmes. Par exemple, le Protocole pourrait inclure des dispositions garantissant le droit de réglementer à des fins de développement durable ou liant la définition du terme « investissement » à une composante de développement durable. Il pourrait également prévoir la protection des droits humains fondamentaux ou des évaluations obligatoires de l’impact social et environnemental. Enfin, le protocole pourrait garantir la responsabilité des investisseurs dans le cadre du règlement des différends. Tous ces exemples figurent également dans les accords d’investissement existants conclus par les États parties africains[3].
Étape 2: Formulation de politiques de mise en œuvre tenant compte de la dimension de genre
Une fois l’accord conclu, une réforme du commerce et de l’investissement peut être nécessaire pour promulguer des politiques pleinement alignées sur les nouveaux engagements. Pour qu’un accord fonctionne pour les femmes, il est important d’être conscient que les hommes et les femmes sont différemment touchés par les accords de commerce et d’investissement. Les inégalités existantes entre les sexes, telles que les écarts de salaire, de pauvreté et d’éducation, la ségrégation professionnelle, les soins non rémunérés et le travail domestique, ainsi que les obstacles à l’accès au financement, à la formation et aux ressources productives empêchent les travailleuses d’accéder à des emplois mieux rémunérés et augmentent la vulnérabilité des entreprises appartenant à des femmes à être évincées par les flux d’IDE. L’ampleur de ces écarts entre les sexes doit être évaluée à l’aide de données ventilées par sexe et traitée dans les politiques d’investissement et de commerce élaborées pour mettre en œuvre le Protocole.
Il ne suffit pas de concevoir des politiques sensibles au genre qui favorisent la participation des femmes à l’économie si celles-ci ne disposent pas des outils et des moyens appropriés pour pouvoir participer pleinement au commerce et maximiser les avantages de l’accord et des politiques de mise en œuvre. Par conséquent, conjointement aux incitations commerciales visant à stimuler leur participation, les femmes devraient bénéficier d’un accès accru aux programmes de renforcement des capacités, au mentorat, au financement et aux actifs. Ces mesures encourageraient les femmes à participer aux investissements intra-africains en tant que main-d’œuvre qualifiée impliquée dans la chaîne de valeur africaine. Les femmes entrepreneurs seraient également mieux préparées à faire face à la concurrence, à étendre leurs activités aux marchés étrangers et à saisir les nouvelles opportunités commerciales apportées par l’augmentation des flux d’IDE et du commerce.
Étape 3: Évaluation de l’impact de l’accord sur l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes
Comme étape finale pour que le Protocole fonctionne pour les femmes, l’impact du Protocole sur l’égalité des sexes devrait être surveillé de manière constante tout au long de la mise en œuvre de l’ ZLECAF. Des mesures correspondantes devraient alors être prises si ce processus permet d’identifier les inégalités de genre restantes. Par exemple, la représentation des travailleuses dans la main-d’œuvre engagée dans les entreprises étrangères ou les entreprises impliquées dans les chaînes de valeur devrait être évaluée, ainsi que le type d’emplois occupés par les femmes, leur représentation dans les postes de direction, et leurs conditions de salaire et de travail. En outre, l’impact du Protocole sur les femmes entrepreneurs doit être évalué afin de déterminer si le Protocole a contribué à combler ou à exacerber les écarts entre les sexes dans l’écosystème commercial. À ce stade, il est important d’évaluer si des barrières structurelles empêchent les femmes de bénéficier, au même titre que les hommes, des avantages apportés par l’amélioration de l’accès aux marchés étrangers et aux flux d’IDE.
En conclusion, la conception du cadre juridique des investissements intra-africains est un acte d’équilibre délicat entre la promotion des flux d’IDE, la croissance économique et le développement durable, tous ces objectifs ne pouvant être atteints si les femmes sont laissées de côté. Les femmes africaines représentent une force économique puissante car elles ont un impact positif sur la création d’emplois, la diversification économique, l’innovation, la réduction de la pauvreté et le développement. Cependant, les inégalités existantes entre les sexes empêchent les femmes de participer pleinement et équitablement aux activités d’investissement et de commerce et d’en bénéficier. Ne pas s’attaquer à ces inégalités conduirait à des conséquences inverses des IDE sur le développement durable en Afrique en exacerbant les inégalités de revenus et en limitant la productivité, autant de facteurs réduisant l’attractivité d’un pays pour les investisseurs. Par conséquent, la promotion de l’autonomisation économique des femmes et de l’égalité des sexes par le biais du régime d’investissement intra-africain serait bénéfique pour tous, car l’autonomisation économique des femmes est l’un des moteurs de la croissance économique.
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[1] Voir Laperle-Forget, L. 2021. ‘Dispositions relatives au genre dans les accords commerciaux africains : Une évaluation des engagements pour réconcilier l’autonomisation des femmes et le commerce mondial‘. Document de travail, Trade Law Centre.
[2] Voir, par exemple, l’Accord établissant l’ ZLECAF, article 3 ; le TBI entre le Rwanda et les Émirats arabes unis, article 4 ; le TBI entre la Hongrie et le Cabo Verde, article 2 ; l’Accord États-Unis-Mexique-Canada, article 14.17 ; l’ALE Chili-Argentine, article 8.17 ; l’ALE Chili-Canada, article G14 bis.
[3] Voir, par exemple, le TBI entre le Nigeria et le Maroc, articles 1, 14 et 15 ; le TBI entre les États-Unis et le Rwanda, article 13 ; le TBI entre l’Éthiopie et les Émirats arabes unis, article 18 ; le TBI entre le Botswana et le Ghana, article 4 ; le TBI entre l’Éthiopie et le Brésil, article 14 ; le TBI entre le Brésil et le Maroc, article 13 ; l’Accord d’investissement du COMESA, article 28.
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Lolita Laperle-Forget
Lolita Laperle-Forget est titulaire d'une maîtrise en droit international et politique (LL. M.) et d'un baccalauréat en droit (LL. B.) de l'Université de Sherbrooke, au Canada. Elle poursuit ses études pour un doctorat sur les opportunités générées par les accords de commerce et d'investissement pour les femmes entrepreneurs. Mme Laperle-Forget a travaillé à l'Organisation mondiale du commerce et a concentré ses recherches sur le droit commercial international et l'analyse des politiques commerciales dans une perspective de genre. Elle s'intéresse notamment au développement durable, à l'autonomisation économique des femmes, à la facilitation des échanges et aux droits de propriété intellectuelle.