Dans toute l’Afrique, les syndicats réclament une voix dans l’élaboration des politiques commerciales et la mise en œuvre de l’Accord de libre-échange continental africain (ZLECAf). En Namibie, le Congrès des syndicats namibiens (TUCNA) a obtenu un siège au Comité de mise en œuvre de la ZLECAf. Mahongora Kavihuha, secrétaire général du TUCNA, revient sur la lutte pour l’inclusion, l’importance du dialogue social dans le commerce et les revendications syndicales pour que la ZLECAf profite aux travailleurs. Cette interview fait partie d’une série visant à promouvoir l’action syndicale sur le commerce et l’investissement à travers le continent.
Mahongora Kavihuha, Secrétaire Général du Congrès des syndicats de Namibie (TUCNA)
Quels enseignements avez-vous tirés de vos expériences en matière de dialogue social et commercial?
L’une des principales leçons tirées de l’expérience de la TUCNA en matière de dialogue social est que les parties prenantes ne comprennent souvent pas pleinement le mandat des syndicats. Lorsque nous avons rencontré pour la première fois les responsables du ministère du Commerce et de l’Industrie, il est apparu clairement qu’ils ne réalisaient pas que les syndicats ont un mandat large, qui englobe notamment la politique macroéconomique et commerciale.
Nos premières discussions avec le ministère n’ont pas été faciles. Nous avons dû présenter des arguments politiques et techniques en faveur de l’inclusion des syndicats dans le Comité national de mise en œuvre de la ZLECAf, expliquer pourquoi les dispositions relatives au travail sont essentielles dans les accords commerciaux et en quoi ces dispositions sont distinctes de questions telles que la libre circulation des personnes. Ces efforts ont porté leurs fruits lorsque le négociateur en chef du ministère a reconnu la valeur de nos propositions et a convenu que nous devions travailler ensemble pour élaborer des dispositions relatives au travail.
Forts de cette expérience, nous avons adopté une approche de plaidoyer qui ramène les parties prenantes à l’essentiel. Nous expliquons clairement le mandat de notre syndicat et les enjeux jusqu’à ce qu’ils soient compris. Nous avons appliqué cette approche avec succès auprès du ministère du Commerce, du ministère des Finances et de la Banque nationale de Namibie. Dans chaque cas, notre objectif était de renforcer la compréhension et les alliances sur les syndicats, le commerce et la ZLECAf.
Considérer chaque engagement comme une occasion d’éducation politique est au cœur de notre stratégie. Cela a aidé le ministère du Commerce et de l’Industrie à comprendre l’importance d’inclure les syndicats dans les discussions et de veiller à ce que les accords commerciaux contiennent des dispositions relatives au travail qui favorisent le travail décent et la justice sociale.
Le TUCNA ou ses affiliés participent-ils à des instances formelles ou informelles de dialogue social?
Nous plaidons activement en faveur de notre inclusion dans les mécanismes formels de dialogue social et avons réalisé des progrès.
Dans le cadre de notre plaidoyer national, nous avons organisé une réunion de haut niveau avec le ministre du Commerce à Windhoek en novembre 2024, à laquelle a participé la CSI-Afrique. Lors de cette réunion, nous avons plaidé en faveur de l’inclusion des syndicats dans les structures nationales chargées de la mise en œuvre de la politique commerciale, y compris le Comité national de mise en œuvre de la ZLECAf. Nous avons cité des exemples tels que le groupe de travail spécial sur le travail lors du sommet de l’AGOA pour montrer que la participation des travailleurs au commerce est à la fois pratique et a déjà eu lieu. À la suite d’un engagement soutenu, le ministère du Commerce a accepté que la TUCNA soumette des noms pour siéger au Comité national de mise en œuvre. Cet accord représente une avancée significative dans la reconnaissance du mandat des syndicats dans la gouvernance économique.
Au niveau continental, nous appelons maintenant le Secrétariat de la ZLECAf à veiller à ce que chaque État membre inclue les syndicats dans ses comités nationaux de mise en œuvre. Sans une main-d’œuvre organisée, la mise en œuvre de l’accord de libre-échange continental risque de laisser les travailleurs pour compte. Cela compromettrait la légitimité de l’accord de libre-échange et son succès à long terme.
Nous nous sommes également intéressés au Forum national sur le commerce, qui ne comprend actuellement que des représentants du gouvernement et des entreprises. Nous avons proposé une structure tripartite, avec les syndicats comme partenaires à part entière. La TUCNA explore également la possibilité de créer des forums sectoriels sur le commerce et de renforcer la capacité de nos affiliés à y participer efficacement.
Dans quelle mesure pouvez-vous influencer la politique commerciale et la ZLECAf?
Les syndicats peuvent influencer la politique commerciale, mais l’accès ne signifie pas le pouvoir. Notre engagement constant auprès du ministère du Commerce a abouti à la reconnaissance de notre rôle dans la politique commerciale et à un accord sur notre participation au Comité national de mise en œuvre. Cela n’a été possible que parce que nous avons été clairs, cohérents et stratégiques sur le plan politique.
Pour notre plaidoyer en faveur de la ZLECAf, nous avons utilisé nos relations politiques et personnelles pour dialoguer directement avec le ministre du Commerce. Une fois la volonté politique obtenue, ils ont fait appel aux technocrates.
Une étude réalisée en 2021 sur les implications de la ZLECAf pour les syndicats en Namibie, soutenue par le Labour Research Service, a renforcé notre crédibilité et clarifié nos revendications auprès des technocrates.
En Namibie, la faible population facilite l’accès, mais cela ne rend pas la politique moins réelle.
Nous avons rencontré des difficultés dues à une méconnaissance des rôles des différents ministères dans les accords commerciaux, comme le ministère du Travail, des Relations industrielles et de la Création d’emplois, qui ne se considérait pas comme partie prenante du processus de politique commerciale. Maintenant que nous avons obtenu une place au sein du Comité national de mise en œuvre, nous nous posons la question suivante : allons-nous utiliser cet espace pour exercer une influence ou allons-nous devenir de simples figurants ? C’est un test pour les syndicats qui négocient le commerce international.
Les syndicats ont été laissés pour compte lors des premières phases de la ZLECAf. Nous essayons maintenant de rattraper le train et nous nous préparons à nous engager de manière significative. Ce moment nécessite un renforcement sérieux des capacités dans tous les secteurs que nous organisons, afin que la voix des travailleurs puisse influencer la mise en œuvre de la ZLECAf.
Quelles sont les revendications de la TUCNA concernant la ZLECAf?
La TUCNA a des revendications de principe concernant ce que la ZLECAf devrait apporter aux travailleurs et à leurs communautés. Nous pensons que ces revendications doivent être reflétées à la fois dans le protocole sur le travail et dans les plans nationaux de mise en œuvre. Le protocole sur le travail doit garantir que la ZLECAf ne reproduise pas les exclusions des régimes commerciaux passés. Le protocole doit soutenir la justice sociale dans les accords commerciaux.
Inclusion dans les mécanismes formels de dialogue social: le travail peut et doit faire partie intégrante de la politique commerciale. L’inclusion des syndicats dans les comités nationaux de mise en œuvre doit être la norme dans tous les États membres de la ZLECAf, avec le soutien du Secrétariat. Nous exigeons une place à la table de tous les forums nationaux, régionaux et continentaux qui façonnent le commerce et l’investissement.
Reconnaissance des normes internationales et nationales du travail: la ZLECAf doit respecter la Convention 87 de l’OIT (liberté syndicale), la Convention 98 de l’OIT (droit d’organization et de négociation collective) et la Convention 155 de l’OIT (sécurité et santé au travail).
Justice fiscale et responsabilité sociale: la protection sociale est liée à la croissance et à la redistribution de la richesse nationale. Sans augmentation des recettes, les protections ne s’amélioreront pas. Nous demandons un budget national favorable à l’emploi et soutenons une croissance tirée par les salaires. Nous demandons instamment que des engagements clairs soient pris dans le cadre de la ZLECAf en faveur des travailleurs et des chômeurs.
Priorité aux femmes et aux jeunes dans le commerce: les dispositions relatives au travail doivent répondre aux difficultés rencontrées par les femmes et les jeunes dans le commerce, en particulier dans le commerce informel ou transfrontalier.
RESSOURCES ESSENTIELLES
- Syndicats et commerce: Évaluation de l’impact potentiel de la ZLECAf en Namibie et implications pour les syndicats du pays
- Fiche d’information sur le commerce en Namibie: Syndicats, commerce et ZLECAf
- Revendications syndicales pour la ZLECAf
- Comment participer aux comités nationaux de mise en œuvre de la ZLECAf
- Commerce, emploi et syndicats en Afrique : quelques options politiques.
Nelly Nyagah
Nelly Nyagah is the Head of Communications at Labour Research Service.