Avec 1,2 milliard de personnes situées dans ses limites géographiques, la Zone de Libre-échange Continentale Africaine (ZLECAf) est la plus grande zone de libre-échange par pays participants.
Lancée le 1er janvier 2021, la ZLECAf change la donne pour l’Afrique. Elle pourrait renforcer la contribution dérisoire de l’Afrique au commerce international en réduisant les coûts commerciaux et en augmentant la participation aux chaînes d’approvisionnement mondiales. La ZLECAf réduira les droits de douane, s’attaquera aux barrières non tarifaires et créera un marché unique libre pour les biens et les services. Au-delà du commerce, il portera sur les investissements, la propriété intellectuelle, la concurrence et la circulation des personnes.
La crise sanitaire de Covid-19 a mis en lumière de nombreux défis dans les pays du monde entier. Un commerce et une coopération accrus sont nécessaires pour reconstruire et aller de l’avant. Avec ses projections de croissance économique, la ZLECAf pourrait contribuer à redresser la barre en Afrique. Que pouvons-nous espérer voir lorsque l’accord sera pleinement mis en œuvre ? Voici quelques impacts positifs et négatifs de la ZLECAf.
L’impact positif prédit
1. La ZLECAf entraînera une croissance économique et la création d’emplois.
On estime que les gains de revenus liés à la ZLECAf pourraient atteindre 5 %. Quelque 60 milliards de dollars US pourraient être ajoutés à la valeur des exportations. Selon la Banque mondiale, l’impact variera selon les pays. Le commerce intra-africain pourrait augmenter jusqu’à 12% pour une valeur de 8,7 milliards de dollars.
2. La ZLECAf peut réduire la pauvreté
En Afrique subsaharienne, près d’une personne sur deux vit sous le seuil de pauvreté. Le Groupe de la Banque mondiale note que la ZLECAf peut sortir 30 millions de personnes de l’extrême pauvreté et 68 millions de plus de la pauvreté modérée.
3. La réduction des coûts commerciaux fera baisser les prix à l’importation et augmentera le pouvoir d’achat des consommateurs.
La réduction des coûts commerciaux fera baisser les prix à l’importation et augmentera la capacité des gens à acheter un large éventail de produits. Grâce à la ZLECAf, l’Afrique deviendra un marché d’exportation plus attrayant pour les entreprises.
La libéralisation du commerce peut stimuler les économies en augmentant la consommation et la diversité économique. Certains secteurs en bénéficieront plus que d’autres, par exemple le secteur manufacturier et les services. Le développement du secteur manufacturier créera directement plus d’opportunités d’emploi, tandis que la croissance du secteur des services se produira dans presque tous les pays.
La ZLECAf devrait également permettre d’améliorer les chaînes d’approvisionnement régionales et d’accroître la complexité et la valeur des biens et services. L’approfondissement des chaînes de valeur continentales pourrait accélérer le processus d’industrialisation, selon le Trade Law Center (TRALAC). Les petites entreprises, en particulier, auraient plus d’opportunités dans de meilleures chaînes de valeur continentales. C’est dans le cadre du processus d’industrialisation et du développement des chaînes de valeur que la ZLECAf promet de réduire le chômage en Afrique.
4. Le commerce intra-africain pourrait augmenter de 8 à 12 % et atteindre une valeur de 8,7 milliards de dollars.
Les accords de libre-échange ne se traduisent pas toujours par une amélioration du commerce. Au minimum, la ZLECAf peut modifier les incitations à améliorer davantage le commerce interafricain. Mais pour améliorer le commerce, il ne suffit pas d’éliminer les droits de douane. L’Afrique aurait besoin, entre autres, d’une meilleure administration douanière, d’une facilitation des échanges et d’une meilleure gouvernance nationale.
5. La ZLECAf pourrait réduire massivement le coût des échanges commerciaux
De toutes les possibilités offertes par la ZLECAf, c’est l’amélioration de la facilitation des échanges qui a le plus d’impact, mais seulement si elle est réalisée correctement. Une étude du TRALAC a calculé que si le temps nécessaire aux camions pour livrer des marchandises en Afrique diminuait de seulement 20 %, cela augmenterait le commerce intra-africain d’un pourcentage plus important que la libéralisation totale de l’ensemble du commerce intra-africain. L’amélioration de l’efficacité aurait bien sûr une incidence sur les barrières non tarifaires existantes, telles que le passage des frontières.
6. La ZLECAf pourrait faciliter le transfert de l’expertise et de la technologie des entreprises mondiales.
La ZLECAf va accroître le commerce, la richesse et l’emploi. Mais la prudence est de mise. Les travailleurs, les femmes et les communautés pourraient être lésés si l’accord n’est pas mis en œuvre correctement.
Les impacts négatifs prédits
1. Les projections positives ne sont pas garanties
Les projections positives concernant la ZLECAf ne sont pas garanties. Certains économistes ont contesté les affirmations selon lesquelles l’ouverture des économies entraîne la croissance. Selon Martin Myant, de l’Institut syndical européen, les accords commerciaux sont fondés sur des études qui montrent des avantages très modestes. M. Myant estime que le succès de la ZLECAf dépendra en grande partie de la capacité des pays à disposer des infrastructures et des services nécessaires. Nous soutenons l’opinion selon laquelle, en l’absence d’interventions et de volonté nationales, la ZLECAf ne réussira pas.
2. Concurrence déloyale : Les PME ne peuvent pas concurrencer les grandes entreprises
« La libéralisation du commerce pourrait mettre en danger les plus vulnérables par le biais de la concurrence déloyale ».
Les entreprises ont la possibilité d’accéder à davantage de marchés dans le cadre de la ZLECAf. Mais cela signifie aussi une concurrence accrue, qui pourrait désavantager les petites entreprises. L’un des arguments en faveur de la concurrence dans le discours sur la libéralisation des échanges est qu’elle peut stimuler l’innovation. Nous devons toutefois tenir compte de la composition unique de l’économie africaine.
L’économie informelle emploie environ 86 % de la main-d’œuvre africaine, contre 69 % en Asie et 40 % dans les Amériques. Ces entreprises sont confrontées à de gros vents contraires et risquent de perdre beaucoup dans le cadre de l’accord si leurs problèmes subsistent, et notamment les problèmes des femmes dans ce secteur. Les petites et moyennes entreprises (PME) manquent généralement de la plupart des éléments associés à un avantage concurrentiel, tels que des capitaux suffisants et des innovations technologiques. Certaines PME, y compris les petits producteurs et les agro-industriels, auront besoin d’une protection sectorielle pour concurrencer équitablement les entreprises commerciales et mondiales.
3. L’emploi, la protection des travailleurs, la sécurité sociale et les droits syndicaux pourraient être entravés.
Réaliser l’agenda du travail décent – La qualité avant la quantité n’est pas assurée dans le cadre de la libéralisation du commerce.
Avec un marché africain plus intégré, la ZLECAf devra faire face au dumping. Le dumping se produit lorsqu’une entreprise étrangère réduit le prix de vente de ses exportations pour prendre le dessus et finalement détruire la concurrence. Il nuit à la production nationale, à la création d’emplois et à la transformation économique. En termes simples, le dumping pourrait affecter la capacité d’un pays à réaliser l’Agenda pour le travail décent.
DÉFINITION
Le travail décent – implique des possibilités de travail productif offrant un revenu équitable, la sécurité sur le lieu de travail et la protection sociale pour les familles, de meilleures perspectives de développement personnel et d’intégration sociale, la liberté pour les personnes d’exprimer leurs préoccupations, de s’organiser et de participer aux décisions qui affectent leur vie et l’égalité des chances et de traitement pour toutes les femmes et tous les hommes.
~Organisation internationale du travail
4. Les travailleurs auront besoin d’aide pour effectuer une transition instantanée vers un nouveau secteur.
Les éventuelles implications négatives des interventions commerciales sur l’emploi sont expliquées succinctement ainsi ;
« La théorie du commerce part souvent du principe que ceux qui perdent leur emploi en raison de nouveaux modèles commerciaux vont instantanément passer à un nouveau secteur, mais cette hypothèse a une validité limitée dans le monde réel. C’est particulièrement vrai pour les petits opérateurs qui manquent de compétences transférables et qui peuvent avoir d’autres obligations qui ne leur permettent pas la mobilité et la transition et, en tant que tels, peuvent ne pas être en mesure de trouver un autre emploi. Les effets du commerce sur l’emploi varient au niveau des pays, en fonction de facteurs tels que la répartition des actifs, du type de commerce (bilatéral, multilatéral ou régional) ainsi que du secteur et des compétences des travailleurs. »
~ Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique / Friedrich Ebert Stiftung
5. Demande accrue de main-d’œuvre flexible et baisse de la qualité des emplois
La libéralisation du commerce dépend fortement d’une main-d’œuvre formelle flexible. Mais les travailleurs peuvent être exposés à de mauvaises conditions de travail et à une faible protection. Il est important de ne pas se contenter de regarder le nombre d’emplois créés ou perdus, mais de prendre en compte des indicateurs qualitatifs tels que la rémunération, les conditions d’emploi et la sécurité de l’emploi.
6. Un taux d’emploi féminin plus élevé mais pas d’emplois décents
L’étude de cas ci-dessous illustre l’impact du processus de libéralisation du commerce sur les petits agriculteurs, les travailleurs et les femmes au Kenya. En raison de la commercialisation, les petits producteurs de fruits et légumes ont perdu leurs revenus. Le travail précaire s’est généralisé et les travailleurs, dont beaucoup de femmes, n’ont pas bénéficié d’une hygiène et d’une sécurité professionnelles adéquates.
ETUDE DE CAS
La commercialisation de l’agriculture au Kenya et ses conséquences négatives pour les petits agriculteurs, les travailleurs et les femmes
Avec l’ouverture des marchés d’exportation pour le sous-secteur des fruits et légumes du Kenya dans les années 1990, la production à petite échelle a été déplacée par les grandes exploitations et les petits agriculteurs incapables d’approvisionner ce marché ont perdu leurs revenus. L’agriculture commerciale a fourni des emplois aux femmes sans terre, et les usines de transformation, en particulier dans les zones urbaines, ont employé de jeunes femmes célibataires. Cependant, l’agriculture commerciale a augmenté les risques pour la santé des travailleurs en raison de la manipulation et de l’application de pesticides. Si la commercialisation de la production de légumes et de fruits peut fournir de nouveaux emplois, elle ne produit souvent que des emplois occasionnels dans les secteurs de l’alimentation et du transport. Ces emplois sont peu susceptibles de bénéficier de prestations de retraite, de matériel, de congés annuels ou de maladie.
La forte dépendance à l’égard des emplois dans les usines de transformation est soumise à la forte saisonnalité de ces emplois. Ces emplois offrent également peu ou pas de possibilités de développement des compétences et de mobilité professionnelle ascendante. Ces résultats différenciés selon le sexe sont incompatibles avec l’obligation des États africains de veiller à ce qu’ils ne pratiquent pas de discrimination à l’égard des femmes.
~ Source: La Zone de libre-échange continentale (ZLEC) en Afrique – Une perspective des droits de l’homme
7. Les zones de libre-échange (ZLE) réussies sont soutenues par une politique nationale et un environnement physique: Est-ce le cas pour la ZLECAf?
Les institutions multilatérales n’ont pas la même ardeur à souligner l’importance des interventions nationales dans la mise en œuvre des ZLE que les impacts positifs. En ce qui concerne les opportunités d’emploi dans la ZLECAf, les prévisions de la Banque mondiale sont trop optimistes:
« La mise en œuvre de la ZLECAf augmenterait les possibilités d’emploi et les salaires des travailleurs non qualifiés et contribuerait à combler l’écart salarial entre les hommes et les femmes. Le continent connaîtrait une augmentation nette de la proportion de travailleurs dans le secteur manufacturier à forte intensité énergétique. L’emploi agricole augmenterait dans 60 % des pays, et les salaires de la main-d’œuvre non qualifiée progresseraient plus rapidement en cas d’expansion de l’emploi agricole. En 2035, les salaires de la main-d’œuvre non qualifiée seraient supérieurs de 10,3 % à ceux du scénario de référence ; l’augmentation pour les travailleurs qualifiés serait de 9,8 %. Les salaires augmenteraient légèrement plus vite pour les femmes que pour les hommes en raison de l’augmentation de la production dans les principales industries à forte intensité de main-d’œuvre féminine. En 2035, les salaires des femmes augmenteraient de 10,5 % par rapport au scénario de référence, contre 9,9 % pour les hommes. »
Outre l’accent mis sur la qualité de ces emplois, comme l’illustre l’étude de cas sur le Kenya, il y a un hic dans les estimations impressionnantes de la Banque. Les pays devraient adopter diverses interventions pour parvenir à créer des emplois. Ces interventions consistent notamment à « … faciliter une transition en douceur et inclusive en soutenant des marchés du travail flexibles, en améliorant la connectivité au sein des pays, et en maintenant des politiques macroéconomiques saines et un environnement commercial favorable aux investisseurs nationaux et étrangers. »
Mais peu de pays peuvent se permettre les interventions suggérées pour créer des emplois. De plus, nous savons par expérience que les politiques favorables aux investisseurs nationaux et étrangers ont souvent un coût très élevé pour les membres les plus vulnérables de la société. Dans le cadre de la ZLECAf, les programmes de rétention sont présentés comme une intervention permettant de minimiser les pertes d’emplois. Les syndicats devraient évaluer la faisabilité de ces interventions dans leur pays et formuler des demandes en conséquence.
8. Un pouvoir accru pour les grandes entreprises multinationales mondiales
Il est prouvé que la libéralisation du commerce affecte la syndicalisation et le pouvoir de négociation des employés. Les accords commerciaux peuvent conduire les grandes entreprises multinationales à accroître leur pouvoir et leur capacité à influencer l’élaboration de la politique du travail à leur avantage.
Autres sujets de préoccupation
Il existe de nombreux autres points de friction à surveiller dans la ZLECAf, par exemple, le développement inégal des économies. Les pays pauvres, petits et enclavés risquent de moins profiter de l’accord et plusieurs d’entre eux ont demandé un traitement différencié dans la mise en œuvre des dispositions relatives à l’élimination des droits d’importation et autres tarifs. C’est un exemple de la manière dont les négociations et la mise en œuvre de la ZLECAf peuvent varier selon les pays.
La taille relative des économies africaines en 2017
Source: UNSD 2019, disponible sur unstats.un.org
Les résultats des processus de la ZLECAf auront un impact direct sur les revenus des pays et sur leur capacité à investir dans les infrastructures et les programmes éducatifs et sociaux nécessaires.
Marie Daniel
Marie Daniel est associée au Labour Research Service. Marie a une formation en études urbaines et en économie du développement et l'une de ses passions de recherche est l'organisation et les approches de participation dans le secteur informel. Elle est intriguée par la manière dont la démocratie participative est abordée et mise en œuvre en Afrique du Sud.